« Cette journée a eu une résonance particulière en Alsace. Le 25 août 1942 était promulguée l’ordonnance de l’incorporation dans l’armée allemande des jeunes Alsaciens.

Le 22 juin 1940, le maréchal Pétain signait l’armistice. La France était vaincue. Si officiellement la convention d’armistice restait muette sur le sort de l’Alsace et de la Moselle, Hitler avait décidé de les annexer au IIIe Reich. Pour réaliser cette épreuve de force, c’est-à-dire une annexion de fait et non de droit, il donna au Gauleiter du pays de Bade, Robert Wagner, le titre de Gauleiter du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, c’est-à-dire chef de l’administration politique et civile de l’Alsace, avec pour consigne de s’atteler à la germanisation et à la nazification de la région. Il procédera avec méthode et brutalité pour modifier l’environnement et créer les conditions favorables. Le 8 mai 1941, une ordonnance de Wagner rendit obligatoire le RAD, le Reichsarbeitsdienst, service national du travail, qui était en réalité une véritable préparation militaire. Tout jeune, garçon ou fille, entre 17 et 25 ans, devait accomplir une formation obligatoire. On y exigea un serment de fidélité au Führer.

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En janvier 1942, Wagner rendit obligatoire l’inscription des jeunes garçons dans la Hitlerjugend, les jeunesses hitlériennes, et des jeunes filles dans la Bund Deutscher Mädel : l’Union des jeunes filles allemandes. Puis le 25 août 1942, Wagner promulgua l’ordonnance sur l’introduction du service militaire obligatoire en Alsace au bénéfice de l’Allemagne, « la Wehrpflicht ». Comme l’annexion était de fait, l’incorporation était de force. En regard du droit international, l’enrôlement « de force » dans une armée étrangère est un crime de guerre. L’incorporation de force fut un véritable choc dans nos villes et villages, un traumatisme familial et collectif. Des représailles envers les familles étaient organisées contre les réfractaires. Malgré les menaces, 12 000 Alsaciens réussirent à s’échapper, alors pour pallier ce refus d’obéissance, les nazis trouvèrent une parade impitoyable. Le 11 février 1943, Wagner ordonna que tous ceux qui ne se présenteront pas au conseil de révision soient envoyés au camp de Vorbrück - Schirmeck d’où ils seront escortés directement dans des bataillons disciplinaires.

malgré nous2L’implacable mécanique nazie s’employait à broyer toute velléité de rébellion. La terreur a toujours été le seul langage connu des dictateurs et des autocrates de tout bord.

Les incorporés de force, 100 000 en Alsace de 21 classes d’âge, de 1908 à 1928, et 30 000 en Moselle, seront à 90 % engagés sur le front Est, pour défendre une cause qui n’était pas la leur. À leur souffrance morale s’ajoutèrent les pires souffrances physiques. Ceux qui furent faits prisonniers connurent des conditions de détention effrayantes, comme au sinistre camp de Tambov en Russie, symbole du calvaire des incorporés de force. Le bilan humain de l’incorporation de force est lourd. 30 000 ne reviendront pas, les corps des 21 000 morts au combat reposent dans les cimetières allemandsdisséminés à travers l’Europe, et on estime à ce jour à 9 000 le nombre de disparus. Les survivants ont dû se reconstruire, psychologiquement et physiquement, les nuits longtemps hantées par les traumatismes endurés.

N’oublions pas les Malgré-elles, ces 15 000 femmes incorporées dans les organisations nazies : dans le Reichsarbeitsdienst ou dans le KHD, le Kriegshelfsdienst, le service auxiliaire de guerre. Envoyées dans des camps, elles ont été endoctrinées, soumises aux pires humiliations et souffrances, à des conditions de travail épouvantables. On leur a volé leur jeunesse et souvent leur santé. Leur destin tragique fait partie de notre histoire nationale. Il est de notre mission de garder vivante leur mémoire et de la transmettre aux jeunes générations. Les manuels d’histoire, hélas, sont encore largement muets sur leur sort.

Que leur expérience nous garde vigilants, aujourd’hui plus que jamais, alors que la guerre est devant nos portes. Sachons préserver et défendre nos valeurs, aujourd’hui européennes, la liberté et la démocratie, le droit à la justice et le refus de l’arbitraire, en dépit du prix à payer. L’actualité en Ukraine nous donne une illustration glaçante et insoutenable de leur fragilité.

Garder leur mémoire implique notre devoir d’expliquer l’ignominie de toute guerre, le danger des nationalismes et des totalitarismes, pour que dans notre monde dangereux et surarmé se réalise enfin le rêve d’une paix universelle et durable dans le respect des libertés, de l’égalité et de la dignité de chacun ».

Marie-Thérèse WACK
Présidente du Souvenir Français