Jusqu'en 1956, une petite chapelle se trouvait au coin de la route de Saverne et de la rue du Moulin à Stutzheim. Elle fut consacrée au culte le 10 octobre de l'an 1701 et dédiée alors à Notre-Dame, Marie-la-Reine.

L'Alsace était française depuis 1648. Depuis 1681, Jean Achert était curé de Dingsheim et de Stutzheim ; il était originaire de Rottweil dans le diocèse de Constance. Les travaux de construction de la chapelle commencèrent en 1699 grâce à la générosité de Michel Velten, un laboureur aisé qui exploitait, à Stutzheim, la grande ferme des seigneurs de Wangen, située près de l'église et appelée, déjà à cette époque, Klein-Mischels-Hoft.

Une tradition veut que les bâtisseurs aient réutilisé les pierres de l'ancienne église de Beroltzheim, un village disparu situé jadis entre Stutzheim et Hurtigheim, et dont subsiste encore un lieu-dit : das Bertzenfeld. La petite chapelle était située au bord de l'importante route des diligences qui menait de Strasbourg à Paris ; on peut supposer que les voyageurs y jetaient un coup d'oeil, comme le leur recommandera encore en 1777 l'Indicateur fidèle du voyageur français publié à Paris.

histoire chapelle st michel stutzheim 1Le fondateur de la chapelle s'appelait donc Michel Velten ; il était originaire du proche Griesheim et a épousé en 1675 Suzanne Hatt, la fille de Laurent Hatt, qui était déjà à la tête de la ferme seigneuriale de Stutzheim. En cette fin de siècle, Michel Velten connut de grandes épreuves dans sa famille. Le 9 avril 1698, il a perdu son épouse, à l'âge de 50 ans environ. Quelques mois plus tard, on a célébré les funérailles de sa belle-mère, Eva Hatt née Ehrmann. Enfin, le 21 mars 1699, après à peine quatre mois de vie commune, Michel Velten a accompagné au cimetière la dépouille mortelle de sa seconde épouse, née Anne Straub, qu'il avait épousée le 4 novembre 1698. Surmontant le malheur, et sans doute aussi par nécessité, Michel Velten a bravé le destin et s'est remarié, le 25 octobre 1699, avec Marie Kinkler (?), une veuve de Schnersheim. Ne serait-ce pas pour appeler la bénédiction de la Vierge Marie sur son nouveau foyer que le Klein-Michels-Bür fit construire la chapelle de Stutzheim, précisément dédiée à Notre-Dame ? Cette pratique était dans l'air du temps, comme le montrent les nombreuses croix édifiées dans les alentours. Quand, le 24 avril 1720, Michel Velten quitta ce monde, la ferme n'avait rien perdu de sa prospérité ; son fils Jacques Velten disposa même, en 1723, des moyens nécessaires pour construire une très belle maison à colombages, malheureusement détruite par un incendie en 1924. La famille Velten avait institué le versement d'une rente annuelle pour l'entretien de la chapelle de Stutzheim.

Peu à peu, au cours des années 1700, s'y développa un petit pèlerinage. Les fidèles y venaient invoquer les deux saints patrons : d'une part St Michel, l'archange protecteur terrassant le Dragon, fêté le 29 septembre, et d'autre part Ste Apolline, mise à mort comme vierge et martyre en 249 et fêtée le 9 février. Selon la croyance populaire, Ste Apolline savait soulager les maux de dents. Lorsqu'en 1727 Stutzheim obtint le statut paroisse autonome, le curé célébrait, dans la chapelle, une messe le vendredi de chaque semaine. La famille Velten montra une prédilection particulière pour le prénom Michel. C'est ainsi qu'à la 3ème génération, Michel Velten sera Hofbeständer et continuera à faire prospérer la ferme ; l'inventaire, dressé le 23 septembre 1771 après le décès de son épouse née Catherine Gintz, respire l'aisance : une grande ferme estimée à 1 380 florins avec 9 chevaux, 3 vaches, 13 porcs, 6 moutons et tous les matériels et instruments nécessaires à la ferme. Mais, ce Michel Velten eut le malheur de perdre non seulement son épouse, mais aussi en 1784, son héritier Jean Georges Velten, à peine âgé de 35 ans. La jeune veuve de Jean Georges Velten, née Marie-Madeleine Fix et originaire de Fessenheim, se remaria le 26 juillet 1785 avec André Quirin, l'un des fils de Michel Quirin, le Schultheiss (prévôt) de Dingsheim. André Quirin, le nouveau Klein-Michels-Bür, inaugura une lignée de notables. Lui-même, membre de la « Société des sciences et arts» fut nommé à plusieurs reprises maire de Stutzheim, notamment en 1802 et 1821. Plus tard, son fils André Quirin, né en 1797, reprit le flambeau à la tête de la municipalité ; en 1860, les fiches des « Renseignements confidentiels » de la préfecture nous donnent son profil : « Il possède toutes les qualités voulues pour la bonne société. Il possède beaucoup d'intelligence et beaucoup de Lumière. Il possède un dévouement exemplaire à l'ordre des choses établies … ».

histoire chapelle st michel stutzheim 2histoire chapelle st michel stutzheim 3

À la 3ème génération des Quirin, on trouve Michel Quirin (1840-1901), nommé Bürgermeister de Stutzheim de 1877 à 1901, et élu député au Reichstag (Parlement) à Berlin. Son fils, Arthur Quirin accéda, à son tour, aux fonctions de maire et de conseiller général du canton de Truchtersheim. Tout au long des années 1800, la famille Quirin demeura pieusement fidèle au voeu de Michel Velten et eut le souci de l'entretien de la chapelle de Stutzheim, restaurée notamment en 1836. Le 3 juillet 1878, la municipalité de Stutzheim décida d'acquérir l'édifice et fit entreprendre à son tour des travaux de rénovation. Jusque vers 1900, la chapelle accueillait encore des pèlerins qui, se rendant à Strasbourg, y faisaient une halte pour invoquer Ste Apolline en la priant de soulager leurs rages de dents. Mais, peu à peu, les fidèles se firent rares et la chapelle ne servit alors plus que comme autel-reposoir lors de la procession de la Fête-Dieu... et ceci jusqu'en 1944. Dans la matinée du 23 novembre 1944, les premiers éléments de la Division Leclerc arrivèrent à Stutzheim, suivis plus tard par un détachement de l'armée américaine. Un central téléphonique militaire fut installé dans la station du tramway située en face de la chapelle. Quant à la chapelle, elle servit hélas, bien des fois, à des usages peu en rapport avec le service divin. Ouverte à tous les vents, saccagée et profanée, la petite chapelle devint pour certains paroissiens un objet de scandale. Au lieu de songer à une restauration, le conseil de fabrique décida en janvier 1956, de raser le bâtiment et de verser le prix de vente des matériaux résiduels dans la caisse de la paroisse. Les travaux de démolition furent hâtivement exécutés en mars 1956. Peu de vestiges ont été conservés. Les deux tableaux, représentant St Michel et Ste Apolline, sont aujourd'hui restaurés et accrochés dans le choeur de l'église. Mais, dès 1932, lors d'un badigeonnage à la chaux, une peinture à l'huile qui garnissait le mur du fond disparut sans laisser de traces. Au moment de la démolition, l'encadrement de l'entrée disparut dans les gravats et le vaillant Michel Grass eut bien du mal pour sauver in extremis le loquet de la porte et la croix en fer qui dominait le faîte de la toiture. Comme pour effacer définitivement toute trace de la chapelle, la clôture du jardin attenant fut mise dans l'alignement de la rue. Cette fois, le Dragon avait eu raison de l'Archange. Il est vrai aussi que, depuis longtemps, les spécialistes de l'art dentaire s'étaient révélés plus efficaces que Ste Apolline.

Albert LORENTZ

Sources :